Une femme extraordinaire

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T’avais quitté la maison très tôt. Tu as quitté ta famille, tes amis pour t’installer en ville, d’abord une chambre, puis ton appartement. Tu vivais en coloc mais déjà tu prévoyais de vivre autrement. Les années soixante, tu les as accueillies les bras grands ouverts. Je t’imagine parfois, assise dans l’herbe, avec une robe en fleurs, chantant le refrain d’une chanson de Brel. Debout tes yeux levés, tes pieds battant en rythme avec Sheila.

Tu as profité de ces années-là pour devenir une femme indépendante, une femme qui ne suivrait pas les sentiers battus, mais créerai son propre chemin. Tes proches se mariaient mais ce n’était pas pour toi. Tu n’avais pas trouvé l’homme idéal ou tu ne voulais pas sacrifier ton indépendance. Je penche pour la deuxième solution. D’amourettes, en histoires sérieuses, au grand amour, tu as toujours gardé farouchement ton Independence.

Fille de ton époque, tu devais en faire jaser chez les gens de bonne famille. Je pense que, dès fois, ces jugements te touchaient, te faisaient même pleurer, mais tu savais qu’il t’était impossible de rentrer dans le moule.

Tu as vécu toute ta vie comme ça en faisant fi des conventions. Je t’ai rencontré à la retraite et on s’est aimés tout de suite. J’admirais ton courage, ta générosité, ta gentillesse.

Tu vivais une retraite tranquille, entre ton patchwork, tes chats et surtout, ton grand amour. Il est tombé malade, il guérissait, mais jamais assez. Petit à petit, il changeait, diminuait, puis un jour il n’était plus là.

Son décès a été ta descente en enfer. Tu n’arrivais pas imaginer continuer sans lui. Dans ta tristesse, tu avais perdu tout accès à la lumière. C’est peut-être, à ce moment-là, que les choses ont commencés à changer. Un dérèglement, une maladie sournoise qui petit-à-petit te détériore le cerveau : l’Alzheimer. Au début, on ne s’en rend pas vraiment compte. Ça nous arrive à tous d’oublier un rendez-vous, de perdre ses clés, de ne plus se rappeler quel jour on est.

Tout doucement, tu t’es remise de ton deuil, tu redevenais joyeuse comme avant. Tu riais, tu te promenais, tu choyais tes chats, mais la maladie progressait.

Chaque jour, le passé devenait plus présent. Chaque jour, le présent devenait plus brumeux. Tu t’en rendais compte et tu savais ce que se passait. Ta mère avait eu la même maladie. Tu te révoltais, la moindre contrariété, te mettait en rage. Tu te disais que si tu refusais d’accepter la maladie, elle n’aurait pas le dessus.

Ton médecin t’a conseillé de t’inscrire dans un EMS. Tu étais méfiante, tu n’avais pas confiance en elle. Tu as refusé. On voyait que pour toi les choses devenaient de plus en plus difficiles et on essayait de trouver des solutions qui te plairait. On n’a pas eu plus de succès. A certains moments, ton esprit d’Independence se révoltait et tu cassais, criais, hurlais ton désespoir.

Des choses que tu savais être simples, tu ne les comprenais plus. Tu ne te rappelais pas les jours qui passaient, pouvait oublier de te nourrir, de te laver, de t’habiller ou nourrir tes chats adorés. Les choses devenaient de plus en plus confuses. Tu soupçonnais tout le monde, la première fois qu’une dame du social est venu chez toi, tu l’as virée de ton appartement. Indépendante, comme tu l’as été toute ta vie, tu refusais de l’aide.

Ton nouveau médecin t’a inscrite dans un EMS. Tu ne voulais toujours pas y aller. Tu ne comprenais pas pourquoi on te forçait la main. Un jour, en balade, tu es tombée et t’as dû être hospitalisée.

Tu as perdu tout tes repères. Tu ne savais pas depuis combien de temps tu étais là. Tu ne savais plus qu’une seule chose que tu voulais rentrer à la maison. Les médecins refusaient. Ils disaient que tu ne pouvais plus t’assumer seule, que tu resteras à l’hôpital jusqu’à ce qu’ils trouvent une place en EMS. Tu as essayé de t’enfuir. Tu as été ramenée.  Tu as essayé de convaincre tes proches de te relâcher, pour ton bien, ils ont refusé. Tu usais de ton charme pour arriver à tes fins et dès que tu découvrais une porte ouverte, tu essayais de partir. 

Un jour, en parcourant les corridors, tu as trouvé un escalier, tu es monté et tu t’’es assise sur le toit. Pour l’hôpital, c’était la goutte qui a fait déborder le vase. Tu as été transférée ailleurs.

On est venu te voir. C’était horrible. La chambre des évaluations ressemblait à une chambre d’asile des années cinquante. Tu étais en rage, on était en larmes.

Pour nous, comme pour toi, tout s’est passé trop vite. La descente était trop brutale. On s’est rendus compte trop tard du cauchemar qu’était devenu ton quotidien. On ne savait pas que les choses pouvaient se détériorer si vite. On était tout aussi désemparé que toi. On est sincèrement désolés que tu aies dû vivre cela.

Heureusement aujourd’hui, tu vis dans un endroit plus plaisant. Tu sembles apaisée, plus sereine. Tu t’es trouvé de nouveaux amis.

Alors, si petit à petit, ta mémoire s’effiloche et que tu ne sais plus qui tu es, nous on se souvient. On se souvient de ton petit rire, de ta générosité, de ton sens de la famille, de ton courage, et, surtout, de tout ce qui fait que tu es une femme extraordinaire.

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Delwyn

Delwyn Dupuis

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