De retour d’un congrès, je me réjouis de retrouver mon bureau. J’ouvre la porte et dis bonjour à ma nouvelle assistante Sybille. Je vide ma sacoche, mon ordinateur portable, une agrafeuse dernier cri, quelques cartes de visite et divers stylos et calepins. Automatiquement, je tends ma main vers le bac de courrier, mais il a disparu. D’ailleurs mon bureau est entièrement vide à part ce que je viens d’y poser. J’ouvre l’armoire, il ne reste rien que quelques grains de poussière. Mes classeurs, mes documents, mon matériel de bureau se sont volatilisés. Je me tourne vers Sybille et lui demande où sont mes affaires.
« J’ai tout modernisé » me dit-elle très fière. « Vos documents ont été scannés, renommés, répertoriés et mis dans des dossiers sur ordinateur. J’ai vidé tous les classeurs. J’ai enlevé les agrafes et recyclé le papier. J’ai donné tout le matériel de bureau à une organisation caritative. Je suis une assistante du XXIème Siècle, je suis consciente de mon empreinte carbone et qu’il faut utiliser le moins de ressources naturelles possible. »
Elle s’approche de mon bureau. Ses ongles manucurés tapotent sur mon clavier et elle me montre tout un tas de dossiers où sont classés des fichiers.
Elle retourne à son bureau, sort son téléphone et se met à tapoter furieusement sur son clavier. Je regarde mon écran et je n’y comprends rien. Les noms des dossiers ne veulent rien dire, un est nommé « rhirirhg156i ». Je lui demande des explications et, sans lever les yeux de son clavier, elle me répond que l’ordinateur choisit le nom et que ce serait trop stressant de tout renommer.
Je fixe le plafond et compte lentement jusqu’à dix et, avec un sourire forcé lui pose la question :
« Et on fait quoi en cas de coupure d’électricité ou d’internet ? Ce sera aussi très stressant pour moi de devoir tout ouvrir à chaque fois que je cherche un renseignement. Malheureusement, je suis une personne du XXème siècle, et je tiens à mon ancien système. Alors tu vas tout réimprimer et remettre tout en état comme avant. »
Elle se lève et me fusille du regard.
« Vous n’avez aucun droit de me parler de cette manière. Je vous rends service en modernisant votre système archaïque et vous me rabaissez. Je vais réimprimer vos papiers parce que je suis gentille mais la prochaine fois que vous me parlez sur ce ton, je porte plainte. »
Elle se rassied et tapote rageusement son clavier. Elle pose ses pieds sur le bureau et se remet à visionner son téléphone. L’imprimante ronronne et se met en route. Très rapidement, les feuilles débordent du bac et virevoltent vers le sol. Sybille, concentrée sur son écran, les ignore.
Je l‘interromps. Elle me lance un regard courroucé. Je lui montre le tapis de feuilles et lui dit :
« Les feuilles sont partout sur le sol, ça serait peut-être le moment de faire quelque chose. »
Elle me regarde stupéfaite, récupère les feuilles et les lance sur mon bureau.
En serrant les dents, je lui dis :
« Maintenant, tu vas à la papeterie la plus proche, tu achètes une perforatrice, des chemises plastique, des séparations, et plusieurs classeurs, tout ça à tes frais bien entendu. Ensuite tu vas agrafer les documents ensemble, faire des trous et les remettre dans les classeurs d’une manière logique. Je te prête mon agrafeuse. Elle devrait te plaire, elle est de ce siècle et elle n’utilise pas d’agrafes. Je reviens demain et je veux que ce bureau soit comme il était avant que tu arrives. »
Elle bondit vers moi, son index s’agite devant mon nez et me hurle qu’elle n’a jamais été traitée de la sorte. Elle recule, index toujours menaçant et quitte la pièce en claquant la porte si fort que les feuilles se renvolent.
Je regarde mon bureau, transformé en champs de bataille et éclate de rire. J’appelle les ressources humaines, leur explique la situation et leur demande une nouvelle assistante, mais, cette fois, une qui a plus de cinquante ans.